lundi 25 août 2008

MÉLISANDE : Si, si ; je suis heureuse, mais je suis triste…

PELLÉAS : On est triste, souvent, quand on s’aime…

MÉLISANDE : Je pleure toujours lorsque je songe à toi…

PELLÉAS : Moi aussi… moi aussi, Mélisande… Je suis tout près de toi ; je pleure de joie et cependant… (Il l’embrasse encore.) – Tu es étrange quand je t’embrasse ainsi… Tu es si belle qu’on dirait que tu vas mourir…

MÉLISANDE : Toi aussi…

PELLÉAS : Voilà, voilà… Nous ne faisons pas ce que nous voulons… Je ne t’aimais pas la première fois que je t’ai vue…

MÉLISANDE : Moi non plus… J’avais peur…

PELLÉAS : Je ne pouvais pas regarder tes yeux… Je voulais m’en aller tout de suite… et puis…

MÉLISANDE : Moi, je ne voulais pas venir… Je ne sais pas encore pourquoi, j’avais peur de venir…

PELLÉAS : Il y a tant de choses qu’on ne saura jamais… Nous attendons toujours ; et puis… Quel est ce bruit ? – On ferme les portes…

MÉLISANDE : Oui, on a fermé les portes…

PELLÉAS : Nous ne pouvons plus rentrer ! – Entends-tu les verrous ! – Écoute ! écoute !… les grandes chaînes !… Il est trop tard, il est trop tard !…

MÉLISANDE : Tant mieux ! tant mieux ! tant mieux !

PELLÉAS : Tu ?… Voilà, voilà !… Ce n’est plus nous qui le voulons !… Tout est perdu, tout est sauvé ! tout est sauvé ce soir ! – Viens ! viens… Mon cœur bat comme un fou jusqu’au fond de ma gorge… (Il l’enlace.) Écoute ! écoute ! mon cœur est sur le point de m’étrangler… Viens ! Viens !… Ah ! qu’il fait beau dans les ténèbres !…

MÉLISANDE : Il y a quelqu’un derrière nous !…

PELLÉAS : Je ne vois personne…

MÉLISANDE : J’ai entendu du bruit…

PELLÉAS : Je n’entends que ton cœur dans l’obscurité…

MÉLISANDE : J’ai entendu craquer les feuilles mortes…

PELLÉAS : C’est le vent qui s’est tu tout à coup… Il est tombé pendant que nous nous embrassions…

MÉLISANDE : Comme nos ombres sont grandes ce soir !…

PELLÉAS : Elles s’enlacent jusqu’au fond du jardin… Oh ! qu’elles s’embrassent loin de nous !… Regarde ! Regarde !…

MÉLISANDE, d’une voix étouffée : A-a-h ! – Il est derrière un arbre !

PELLÉAS : Qui ?

MÉLISANDE : Golaud !

PELLÉAS : Golaud ? – où donc ? – je ne vois rien…

MÉLISANDE : Là… au bout de nos ombres…

PELLÉAS : Oui, oui ; je l’ai vu… Ne nous retournons pas brusquement…

MÉLISANDE : Il a son épée…

PELLÉAS : Je n’ai pas la mienne…

MÉLISANDE : Il a vu que nous nous embrassions…

PELLÉAS : Il ne sait pas que nous l’avons vu… Ne bouge pas ; ne tourne pas la tête… Il se précipiterait… Il restera là tant qu’il croira que nous ne savons pas… Il nous observe… Il est encore immobile… Va-t’en, va-t’en tout de suite par ici… Je l’attendrai… Je l’arrêterai…

MÉLISANDE : Non, non, non !…

PELLÉAS : Va-t’en ! va-t’en ! Il a tout vu !… Il nous tuera !…

MÉLISANDE : Tant mieux ! tant mieux ! tant mieux !…

PELLÉAS : Il vient ! il vient !… Ta bouche !… Ta bouche !…

MÉLISANDE : Oui !… oui !… oui !…

Ils s’embrassent éperdument.

PELLÉAS : Oh ! oh ! Toutes les étoile tombent !…

MÉLISANDE : Sur moi aussi ! sur moi aussi !…

PELLÉAS : Encore ! Encore !… donne ! donne !…

MÉLISANDE : Toute ! toute ! toute !…

Golaud se précipite sur eux l’épée à la main, et frappe Pelléas, qui tombe au bord de la fontaine. Mélisande fuit épouvantée.

MÉLISANDE, fuyant : Oh ! oh ! Je n’ai pas de courage !… Je n’ai pas de courage !…

Golaud la poursuit à travers le bois, en silence.

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