Comme je suis en train de clore une partie de ma thèse sur l'invention de inconscient, comme j'observe sa charge théorique, sa charge critique chez Benveniste (chez Bréal, Saussure, Boas, Sapir), je reviens aussi à ce texte de Lévi-Strauss qui me semble à chaque fois un très bon exemple de la pauvreté de la démarche structuraliste.
Il y a d'abord, au principe de cette démarche, la croyance en des réalités que l'on peut abstraire par procès de science. Ce que Lévi-Strauss appelle ici l'inconscient. Ce qui est privé à la conscience et que seul le savent peut atteindre. Cet inconscient, la structure, évidemment se confond chez Lévi-Strauss avec la représentation mise en oeuvre par la linguistique structurale. Le langage est inconscient, et en cela l'analyse structurale peut l'atteindre, car "nous n'avons pas conscience des lois morphologiques et syntactiques", "nous n'avons pas une connaissance consciente des phonèmes que nous utilisons", "nous somme moins conscients encore - à supposer que nous puissions l'être parfois - des oppositions phonologiques". Et en conséquence, "cette formulation émerge uniquement sur le plan de la pensée scientifique". La schize, elle, se formule ainsi : "Même le savant ne réussit jamais à confondre complètement ses connaissances théoriques et son expérience de sujet parlant". Le vieux principe d'une double-vérité. Même si on se doutait déjà qu'il n'y avait chez Lévi-Strauss aucune théorie du point de vue, aucune théorie du sujet (comme il me le disait lui-même lors d'un entretien, "dans mon anthropologie, il n'y a pas de sujet"), parlant donc du savant, Lévi-Strauss écrit : "Sa façon de parler se modifie fort peu sous l’effet des interprétations qu’il peut en donner, et qui relèvent d’un autre niveau. En linguistique, on peut donc affirmer que l’influence de l’observateur sur l’objet d’observation est négligeable : il ne suffit pas que l’observateur prenne conscience du phénomène pour que celui-ci s’en trouve modifié". Une voix de loin répète "le point de vue CREE l'objet".
"Le langage est un phénomène social. Parmi les phénomènes sociaux, c’est lui qui présente le plus clairement les deux caractères fondamentaux qui donnent prise à une étude scientifique. D’abord, presque toutes les conduites linguistiques se situent au niveau de la pensée inconsciente. En parlant, nous n’avons pas conscience des lois syntactiques et morphologiques de la langue. De plus, nous n’avons pas une connaissance consciente des phonèmes que nous utilisons pour différencier les sens de nos paroles ; nous sommes moins conscients encore – à supposer que nous puissions l’être parfois – des oppositions phonologiques qui permettent d’analyser chaque phonème en éléments différentiels. Enfin, le défaut d’appréhension intuitive persiste, même lorsque nous formulons les règles grammaticales ou phonologiques de notre langue. Cette formulation émerge uniquement sur le plan de la pensée scientifique, tandis que la langue vit et se développe comme une élaboration collective. Même le savant ne réussit jamais à confondre complètement ses connaissances théoriques et son expérience de sujet parlant. Sa façon de parler se modifie fort peu sous l’effet des interprétations qu’il peut en donner, et qui relèvent d’un autre niveau. En linguistique, on peut donc affirmer que l’influence de l’observateur sur l’objet d’observation est négligeable : il ne suffit pas que l’observateur prenne conscience du phénomène pour que celui-ci s’en trouve modifié."
Claude Lévi-Strauss, " Langage et société " (1951), in Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, pp. 71-72.