vendredi 23 novembre 2007

mercredi 21 novembre 2007

Suprematicheskii skaz pro dva kvadrata v shesti postroikakh


Extrait du Conte suprématiste de deux carrés dans six constructions (1922), conte pour enfants de El Lissitzky.

mercredi 24 octobre 2007

un tableau périodique des structures linguistiques

à ajouter au sujet de l'orgueil structuraliste :

"Une machine recevant des équations déterminant les divers types de structures connues en phonologie, le répertoire des sons que l’appareil phonateur de l’homme peut émettre, et les plus petits seuils différentiels entre ces sons, déterminés préalablement par des méthodes psycho-physiologiques (sur la base d’un inventaire et d’une analyse des phonèmes les plus rapprochés), pourrait fournir un tableau exhaustif des structures phonologiques à n oppositions (n pouvant être fixé aussi grand qu’on voudrait). Ainsi obtiendrait-on une sorte de tableau périodique des structures linguistiques, comparable à celui des éléments dont la chimie moderne est redevable à Mendeleeff. Nous n’aurions plus alors qu’à repérer dans le tableau l’emplacement des langues déjà étudiées, à marquer la position, et les relations aux autres langues, de celles dont l’étude directe est encore insuffisante pour nous en donner une connaissance théorique, et même à découvrir l’emplacement de langues disparues, futures, ou simplement possibles. "


Claude Lévi-Strauss, " Langage et société " (1951), in Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, p. 73

dimanche 21 octobre 2007

L'inconscient de Lévi-Strauss

En 1958 paraît Anthropologie Structurale de Claude Lévi-Strauss qui rassemble des articles parus antérieurement, dont "Langage et société" d'abord paru en anglais en 1951.
Comme je suis en train de clore une partie de ma thèse sur l'invention de inconscient, comme j'observe sa charge théorique, sa charge critique chez Benveniste (chez Bréal, Saussure, Boas, Sapir), je reviens aussi à ce texte de Lévi-Strauss qui me semble à chaque fois un très bon exemple de la pauvreté de la démarche structuraliste.
Il y a d'abord, au principe de cette démarche, la croyance en des réalités que l'on peut abstraire par procès de science. Ce que Lévi-Strauss appelle ici l'inconscient. Ce qui est privé à la conscience et que seul le savent peut atteindre. Cet inconscient, la structure, évidemment se confond chez Lévi-Strauss avec la représentation mise en oeuvre par la linguistique structurale. Le langage est inconscient, et en cela l'analyse structurale peut l'atteindre, car "nous n'avons pas conscience des lois morphologiques et syntactiques", "nous n'avons pas une connaissance consciente des phonèmes que nous utilisons", "nous somme moins conscients encore - à supposer que nous puissions l'être parfois - des oppositions phonologiques". Et en conséquence, "cette formulation émerge uniquement sur le plan de la pensée scientifique". La schize, elle, se formule ainsi : "Même le savant ne réussit jamais à confondre complètement ses connaissances théoriques et son expérience de sujet parlant". Le vieux principe d'une double-vérité. Même si on se doutait déjà qu'il n'y avait chez Lévi-Strauss aucune théorie du point de vue, aucune théorie du sujet (comme il me le disait lui-même lors d'un entretien, "dans mon anthropologie, il n'y a pas de sujet"), parlant donc du savant, Lévi-Strauss écrit : "Sa façon de parler se modifie fort peu sous l’effet des interprétations qu’il peut en donner, et qui relèvent d’un autre niveau. En linguistique, on peut donc affirmer que l’influence de l’observateur sur l’objet d’observation est négligeable : il ne suffit pas que l’observateur prenne conscience du phénomène pour que celui-ci s’en trouve modifié". Une voix de loin répète "le point de vue CREE l'objet".


"Le langage est un phénomène social. Parmi les phénomènes sociaux, c’est lui qui présente le plus clairement les deux caractères fondamentaux qui donnent prise à une étude scientifique. D’abord, presque toutes les conduites linguistiques se situent au niveau de la pensée inconsciente. En parlant, nous n’avons pas conscience des lois syntactiques et morphologiques de la langue. De plus, nous n’avons pas une connaissance consciente des phonèmes que nous utilisons pour différencier les sens de nos paroles ; nous sommes moins conscients encore – à supposer que nous puissions l’être parfois – des oppositions phonologiques qui permettent d’analyser chaque phonème en éléments différentiels. Enfin, le défaut d’appréhension intuitive persiste, même lorsque nous formulons les règles grammaticales ou phonologiques de notre langue. Cette formulation émerge uniquement sur le plan de la pensée scientifique, tandis que la langue vit et se développe comme une élaboration collective. Même le savant ne réussit jamais à confondre complètement ses connaissances théoriques et son expérience de sujet parlant. Sa façon de parler se modifie fort peu sous l’effet des interprétations qu’il peut en donner, et qui relèvent d’un autre niveau. En linguistique, on peut donc affirmer que l’influence de l’observateur sur l’objet d’observation est négligeable : il ne suffit pas que l’observateur prenne conscience du phénomène pour que celui-ci s’en trouve modifié."

Claude Lévi-Strauss, " Langage et société " (1951), in Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, pp. 71-72.

Deux femmes en coiffe


vendredi 19 octobre 2007

tourbillons de sable

Paris le 10 novembre 1947


Bien chers amis,


Souffrez que je réponde ensemble à ceux que mon amitié ne dissocie pas et qu'à S.H.C. de qui la jolie lettre m'a beaucoup touché, aussi bien qu'à H.C. messager d'importantes nouvelles, j'offre d'abord des excuses pour ce long retard. J'ai dû en rentrant partir pour quelques jours qui n'ont pas réussi à être du repos, et faire aussitôt face à tant et tant d'obligations (une semaine du matin au soir à un comité de l'UNESCO, six mois de correspondance en souffrance, et le BSL, et il y a beaucoup d'etc.), et il devait toujours se tenir cette réunion à la Direction culturelle... J'ai vainement cherché ces quelques heures qui fussent ce que tant d'heures étaient si facilement à Téhéran, silence, disponibilité allègre. Mais j'ai poursuivi les jours qui ont poursuivi les jours qui m'ont poursuivi.

Je vous l'ai dit, je comptais d'abord reprendre le chemin de l'Iran. Mais il faut savoir l'entreprise hasardeuse que représente cette traversée par les moyens locaux. Je n'avais plus aucune certitude d'arriver à une date donnée ; ce pouvait être encore un avion manqué et j'étais à bout de ressources. Quand j'ai reçu votre lettre et calculé les dates, j'ai vu de plus que nous n'airions pas pu nous rencontrer ; vous étiez sur la route de Mashad quand j'aurais suivi le trajet inverse. Comme je regrette néanmoins de n'avoir pas fait avec vous le pèlerinage de Mashad. Cette libation de l'âme, à l'aube, sur la tombe de Khayyam. Aviez-vous une jarre odorante, pour mêler le parfum à la prière ? Nous étions un peu sous la même inspiration, dans la sobria ebrietas de nos propos nocturnes à Téhéran, où, oui, nous avons parfois cru toucher à l'absolu.

De l'Afghanistan aussi j'ai gardé un grand souvenir, dans la mesure où j'ai pu momentanément faire taire celui de l'Iran. C'est surtout le souvenir de ces longues chevauchées le long de l'Oxus, dans ces gorges grandioses. J'ai rarement eu l'esprit aussi alerte que dans cette extrême fatigue physique, dans le bonheur de cette ascèse où concourraient un soleil de feu, la faim, les solitudes infinies, le sommeil à même le sol, et cette inextinguible curiosité de tout voir. C'était, je m'en suis rendu compte ensuite, une gageure que de tenter un pareil voyage avec aussi peu de ressources. Mais le résultat m'a amplement payé et une certaine imprévoyance ne déplaît pas au destin. [...]


(extrait d'une lettre adressée à Henry Corbin et à S. H. C (son épouse ?))

Sur la photographie, Emile Benveniste (dans l'arbre) est aux côtés d'Henry Corbin

mercredi 17 octobre 2007

The Grammarian and his Language


"But it is not absurd to say that there is nothing in the formal pecularities of Hottentot or of Eskimo which would obscure the clarity or hide the depth of Kant’s thought – indeed, it may be suspected that the highly synthetic and periodic structure of Eskimo would more easily bear the weight of Kant’s terminology than his native German"
Nous traduisons :
" Mais il n’est pas absurde de dire qu’il n’y a rien dans les particularités formelles de l’hottentot ou de l’eskimo qui pourrait obscurcir la clarté ou cacher la profondeur de la pensée de Kant – en fait, on pourra suspecter que la structure hautement synthétique et périodique de l’eskimo porterait plus facilement le poids de la terminologie de Kant que son allemand natif. "

Edward Sapir, " The grammarian and his language ", in American Mercury, I, 1924. Repris dans le volume Selected Writings of Edward Sapir in Language Culture Personality, edited by David G. Mandelbaum, University of California Press, Berkeley and Los Angeles, 1963, p. 153.

mardi 16 octobre 2007

Lettre du 1er décembre 1876, à Amé Pictet


Leipzig, Hospitalstrasse 12, bei Schlag 1er décembre 76
Cher ami,Je viens de me reporter en pensée dans cette chambre de travail de la Rue de la Treille où nous avons passé bien des après-midis ensemble, soit à repasser du Süss ou du Tavan soit à manipuler une pile électrique qui ne marchait pas soit à regarder passer les gens dans la rue et les fonctionnaires-députés dans les bureaux de l'hôtel de Ville; et je me suis dit que cette fois je t'écrirais pour de bon. Je t'écris donc, assis à ma fenêtre qui est loin d'offrir un spectacle aussi varié que la tienne. Si j'avais encore à faire des compositions pour Braillard, « ce que je vois de ma croisée » serait bien le sujet le plus infertile que je pourrais choisir. Un chantier et une demi-douzaine de cheminées de fabrique, voilà les grands traits du tableau. Entre deux se trouve l'Hospitalstrasse. Malheureusement c'est le chemin du cimetière et je n'y vois passer que de lugubres corbillards. Heureusement j'ai à deux pas Favre, Lucien, Raoul et Edm[ond] Gautier et un peu plus loin Le Fort & Chenevière.Leipzig a une ou deux curiosités, mais on s'en lasse très-vite. Par exemple: tu te promènes paisiblement dans la rue: tout-à-coup tu aperçois en louchant sur l'extrémité de ton nez un petit morceau de charbon. Tu veux l'enlever, il s'éclaffe sous ton doigt, et désormais tous tes efforts sont inutiles: tu as le nez noir. D'où vient ce morceau de charbon? Des usines dont la ville est pleine et qui vomissent la fumée par cent ouvertures... aussi nous ne fumons pas, cela serait trop, décidément.Quand tu te promènes sur un trottoir tu remarques de distance en distance une grille qui est un soupirail de cave. Ces soupiraux servent à 2 choses: a. quand il y a de la neige, dès qu'on y met le pied, on glisse, on culbute, on se casse la jambe. b. Des effluves nauséabonds s'en échappent. Jusqu'à présent nous n'avons pas trouvé la source de ces parfums sans nom. On a émis l'hypothèse que le Gd Conseil de Genève tenait ses réunions dans les caves de Leipzig. C'est invraisemblable, mais pourtant cela expliquerait bien.L'eau n'est pas potable; et il est plus propre de ne pas se baigner. Une lourde bière nous germanise lentement, mais sûrement...! Pour ce qui est de la cuisine, les beefsteaks seuls sont fumables (expression leipsickoise). Heureusement qu'il existe à l'Universitätsstrasse un homme, un homme dont le nom impose le respect, et qui a reçu de nous à juste titre le surnom de « bienfaiteur du genre humain », Gustave Markendorf, puisqu'il faut l'appeler par son nom, a un magasin rempli de biscuits Huntley, de chocolat Suchard, de potted game, de cornet Beef, de pâte d'anchois, de conserves de pêche... enfin de tout ce que le grand art de la conserve peut apporter de précieux dans un pays déshérité comme Leipzig. Honneur à Markendorf. - Mais il me semble que je te peins Leipzig sous des couleurs plutôt sombres. Je ne veux pourtant pas en médire. Somme toute on y est pas mal, et pour ce qui est de l'université aucun de nous ne voudrait pour l'or du monde retâter de celle de Genève.La dernière fois que j'ai été au théâtre on donnait Aïda, et le dieu Phtha jouait un grand rôle. Cela m'a rappelé l'aimable Mussard. Tu me diras les nouvelles conquêtes qu'il a faites cet automne et tu lui feras mes amitiés ainsi qu'à Aubert et à Gautier à qui je répondrai demain ou après-demain. Ton affectionné Ferdd de Saussure

lundi 15 octobre 2007

cerveau droit cerveau gauche


Remarquez comme la poésie est mise du côté du non verbal.

voir un éléphant et se souvenir des éléphants


dixitque

Genèse 2.23 dixitque Adam hoc nunc os ex ossibus meis et caro de carne mea haec vocabitur virago quoniam de viro sumpta est

Adam nommant les animaux



La plupart des conceptions que se font ou du moins qu’offrent les philosophes du langage font songer à notre premier père Adam appelant près de lui les divers animaux et leur donnant à chacun leur nom.
[…]
Mais il y a là, implicitement, quelque tendance que nous ne pouvons méconnaître ni laisser passer sur ce que serait en définitive le langage: savoir, une nomenclature d’objets. D’objets d’abord donnés. D’abord l’objet, puis le signe; donc (ce que nous nierons toujours) base extérieure donnée au signe, et figuration du langage par ce rapport-ci :

*—a
Objets { *—b } Noms
*—c

alors que la vraie figuration est : a - b - c, hors de toute connaissance d'un rapport effectif comme *-a, fondé sur un objet. Si un objet pouvait, où que ce soit, être le terme sur lequel est fixé le signe, la linguistique cesserait instantanément d'être ce qu'elle est depuis le sommet jusqu'à la base ; du reste l'esprit humain du même coup, comme il est évident à partir de cette discussion.
Mais ce n'est là, nous venons de le dire, que le reproche incident que nous adresserions à la manière traditionnelle de prendre le langage quand on veut le traiter philosophiquement.

Ferdinand de Saussure
Ecrits de linguistique générale, Gallimard, Paris, 2002, p. 230.

l'histoire de tes amours qui sont devenues miennes

JACQUES: [...] Mais pour en revenir à une peine que nous connaissons tous deux, l'histoire de mon genou qui est devenu le vôtre par votre chute...
LE MAITRE - Non, Jaques; l'histoire de tes amours qui sont devenues miennes par mes chagrins passés.
Denis DIDEROT, Jaques le fataliste et son maître, Librairie Droz, Textes littéraires français, Édition critique des textes et variantes établis sur le manuscrit de Leningrad par S. LECOINTRE et Jean LE GALLIOT, 1977, pp-23-24.

vendredi 12 octobre 2007


Après l'archéologie, la généalogie.

Publié deux mois avant le livre d'Alain de Libera, chez Vrin encore, un ouvrage collectif.
Pas de doute, le sujet est à la mode.
Mais le sujet, quel sujet ?

Olivier Boulnois (éd.)
Généalogie du sujet, De saint Anselme à Malebranche
Vrin, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie ». 320 p., 13,5 × 21,5 cm. ISBN : 978-2-7116-1915-3L’invention du concept de subjectivité revient à Kant. Mais celui-ci l’attribue à Descartes, coupable d’avoir pris le sujet de la pensée pour une substance. De Hegel à Heidegger, toute l’historiographie a été victime de ce tour de passe-passe. Il se trouve même des historiens pour chercher au Moyen Âge les prémices du « sujet moderne ».Cet ouvrage déconstruit une telle histoire. Partant du concept antique et médiéval de sujet – le support des accidents –, il s’efforce de suivre un complexe de questions : quel est le sujet de la pensée, l’homme, le moi ou l’âme? Est-il substance? A-t-il une certitude immédiate de soi?De saint Anselme à Malebranche, ce travail d’équipe met ainsi au jour des marqueurs, des énoncés fondamentaux qui s’entrelacent en plusieurs lignées. Il dessine ainsi un arbre des possibles, dont la certitude de soi cartésienne et le sujet kantien ne sont que des cas particuliers : au lieu d’une histoire unique, orientée vers un but, une généalogie véritablement multiple.

Ont collaboré à ce volume : J.-Ch. Bardout, F. Berland, O. Boulnois, J.-B. Brenet, J. Casteigt, S. Maxim, C. Michon, S. Piron, J. Schmutz, K. Trego et Chr. Trottmann.

jeudi 11 octobre 2007

Franz Boas, "Unconscious Character of Linguistic Phenomena"


"Of greater positive importance is the question of the relation of the unconscious character of linguistic phenomena to the more conscious ethnological phenomena. It seems to my mind that this contrast is only apparent, and that the very fact of the unconsciousness of linguistic processes helps us to gain a clearer understanding of the ethnological phenomena, a point the importance of which can not be underated. It has been mentioned before that in all languages certain classifications of concepts occur. To mention only a few : we find objects classified according to sex, or as animate and inanimate, or according to form. We find actions determined according to time and place, etc. The behavior of primitive man makes it perfectly clear that all these concepts, although they are in constant use, have never risen into consciousness, and that consequently their origin must be sought, not in rational, but in entirely unconscious, we may perhaps say instinctive, processes of the mind. They must be due to a grouping of sense-impressions and of concepts which is not in any sense of the term voluntary, but which develops from quite different psychological causes. It would seem that the essential difference between linguistic phenomena and other ethnological phenomena is, that the linguistic classifications never rise into consciousness, while in other ethnological phenomena, although the same unconscious origin prevails, these often rise into consciousness, and thus give rise to secondary reasoning and re-interpretations ".

Franz Boas, Introduction to Handbook of American Indian Languages, University of Nebraska Press, Lincoln end London, 1966 p. 63. Le texte paraît à l’origine en 1911 dans le Bulletin, 40, du Bureau of American Ethnology

mercredi 10 octobre 2007

Parution : Alain de Libera, Archéologie du sujet, 1, Naissance du Sujet

Alain de Libéra, très grand savant de l'Antiquité et du monde médiéval (Penser au Moyen Age, La querelle des universaux, La philosophie médiévale ... ), traducteur notamment de Maître Eckhart, Saint Thomas d'Aquin, Porphyre, Averroès, vient de publier un ouvrage qui devrait nous intéresser puisqu'il a pour visée d'écrire une "archéologie du sujet", en commençant dans ce premier volume par la "naissance du sujet". Néanmoins, même si Alain de Libéra est ce très grand savant (qui poursuit la tradition d'écriture d'Etienne Gilson, puis de Jean Jolivet), cette archéologie du sujet sera sans doute uniquement une archéologie du sujet de la métaphysique("Qui pense? Quel est le sujet de la pensée? Qui sommes-nous? Qu’est-ce que l’homme?" ), non pas que cette histoire ne soit pas effectivement à faire, mais le problème étant la méconnaissance du sujet, au sens de Saussure, au sens de Benveniste, l'absence de théorie du langage. Alain de Libera annonce en effet que ce premier volume sera "placé sous le double patronage de Heidegger et de Foucault". et quoique revendiquant "une archéologie du savoir" (mais dans cette absence de théorie du langage peut-il s'agir d'une histoire des idées ?), Alain de Libéra affiche encore "l'horizon", d'une "histoire de l'Etre". On est alors assez déçu de voir tant de vraies connaissances et de finesse analytique se perdre dans l'essentialisme. Peut-être pour n'avoir pas lu Benveniste.Alain de LiberaNaissance du sujet (Archéologie du sujet I)Vrin, « Bibliothèque d’Histoire de la Philosophie ». 448 p., 13,5 × 21,5 cm. ISBN : 978-2-7116-1927-6Le « sujet » n’est pas une création moderne. Ce n’est pas davantage un concept psychologique. Moins encore l’invention de Descartes. C’est le produit d’une série de déplacements, de transformations et de refontes d’un réseau de notions (sujet, agent, acteur, auteur, acte, action, passion, suppôt, hypostase, individu, conscience, personne, « je », moi, Self, égoïté), de principes (attribution, imputation, appropriation) et de schèmes théoriques mis en place dans l’Antiquité tardive (Plotin, Porphyre, Augustin), élaboré au Moyen Âge (Bonaventure, Thomas d’Aquin), puis mis en crise à l’Âge classique par l’invention de la « conscience » (Locke). Une histoire de la subjectivité ne peut donc être qu’une archéologie du sujet, travaillant la « longue durée » philosophique, une histoire de la philosophie du sujet entendue comme histoire du sujet de la philosophie, une « archéologie du savoir » pensée dans l’horizon de « l’histoire de l’Être ». Placé sous le double patronage de Heidegger et de Foucault, ce premier volume expose une méthode, introduit les concepts (périchorèse, immanence psychique, intentionnalité), présente les schèmes (sujet, suppôt, hypostase, personne; attribution, action, inhérence, dénomination) et forge les outils historiques (attributivisme, subjectité) nécessaires pour construire un premier parcours philosophique et théologique dans les quatre domaines où s’articule la figure inaugurale de l’histoire de la subjectivité : Qui pense? Quel est le sujet de la pensée? Qui sommes-nous? Qu’est-ce que l’homme?Alain de Libera, né en 1948, est directeur d’études à l’École pratique des hautes études, Section des sciences religieuses, où il enseigne l’histoire des théologies chrétiennes dans l’Occident médiéval, et professeur d’histoire de la philosophie médiévale à l’université de Genève.